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jeudi 30 juin 2016

La miséricorde ou la défaite de l'enfer.


Quelques pages d'un petit livre vous prennent plus de temps qu'un ouvrage de 800 pages. Si Bernard de Mandeville et sa petite Fable des Abeilles peuvent toutefois avoir des difficultés de voisinage avec Zola et son Assomoir, comment ne pas apprécier la parte que nous ouvre l'opuscule de Bertrand Vervely La miséricorde ou la défaite de l'enfer, éd. Médiaspaul 2016. Il mérite mieux qu'un regard transversal et je me souhaite encore bien du courage et du temps pour approfondir. Il fait du bien. La recréation du monde par la miséricorde est encore plus belle que la création. N'est-ce pas parce que Dieu par elle se révèle? Jésus, miséricorde du Père. Sans Dieu pas de miséricorde et un monde incompréhensible! Mais mon Dieu, est-il possible d'avancer sans la grâce, dans l'acceptation de cette lumineuse obscurité. Que de pain dur et de misère... miséricorde.

Extrait de la conclusion :

"Au XVIIIe siècle, quand l’Europe s’ouvre à la modernité, celle-ci veut lutter contre la misère et pense pouvoir le faire par l’économie et non par la morale. Libérons l’égoïsme et la cupidité, explique Mandeville dans sa Fable des abeilles et ceux-ci nous libérerons de la misère bien plus sûrement que la morale et la religion. Au XIXe siècle, Zola dans L’assommoir dresse le bilan implacable de cette nouvelle morale. Si la cupidité humaine que l’on libère fabrique effectivement de la richesse, elle fabrique également une misère noire, scandaleuse et honteuse."


Des Rougon-Macquart, fait partie L'assommoir de Zola. Il fait frémir, jusqu'à la mort de Gervaise. Son corps est découvert sous un escalier, à cause de l'odeur qu'il dégageait... les bienfaits de la cupidité humaine.

La préparation du mariage mérite une citation, nous souvenant de Familiaris Consortio et d'Amoris Laetitia. Coupeau aurait-il été d'accord avec notre Pape de 2016 sur le point d'un mariage sans messe?

"Cependant, Coupeau n’avait pas le sou... Quand il eut mis de côté les dix francs du pique-nique, son écot et celui de Gervaise, les enfants devant passer par-dessus le marché, il lui resta tout juste six francs, le prix d’une messe à l’autel des 107 pauvres. Certes, il n’aimait pas les corbeaux, ça lui crevait le cœur de porter ses six francs à ces galfatres-là, qui n’en avaient pas besoin pour se tenir le gosier frais. Mais un mariage sans messe, on avait beau dire, ce n’était pas un mariage. Il alla lui-même à l’église marchander ; et, pendant une heure, il s’attrapa avec un vieux petit prêtre, en soutane sale, voleur comme une fruitière. Il avait envie de lui ficher des calottes. Puis, par blague, il lui demanda s’il ne trouverait pas, dans sa boutique, une messe d’occasion, point trop détériorée, et dont un couple bon enfant ferait encore son beurre. Le vieux petit prêtre, tout en grognant que Dieu n’aurait aucun plaisir à bénir son union, finit par lui laisser sa messe à cinq francs. C’était toujours vingt sous d’économie. Il lui restait vingt sous."

La messe : La trotte était bonne de la mairie à l’église. En chemin, les hommes prirent de la bière, maman Coupeau et Gervaise du cassis avec de l’eau. Et ils eurent à suivre une longue rue, où le soleil tombait d’aplomb, sans un filet d’ombre. Le bedeau les attendait au milieu de l’église vide ; il les poussa vers une petite  chapelle, en leur demandant furieusement si c’était pour se moquer de la religion qu’ils arrivaient en retard. Un prêtre vint à grandes enjambées, l’air maussade, la face pâle de faim, précédé par un clerc en surplis sale qui trottinait. Il dépêcha sa messe, mangeant les phrases latines, se tournant, se baissant, élargissant les bras, en hâte, avec des regards obliques sur les mariés et sur les témoins. Les mariés, devant l’autel, très embarrassés, ne sachant pas quand il fallait s’agenouiller, se lever, s’asseoir, attendaient un geste du clerc. Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps ; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu’elle avait emprunté à une voisine. Cependant, midi avait sonné, la dernière messe était dite, l’église s’emplissait du piétinement des sacristains, du vacarme, des chaises remises en place. On devait préparer le maître-autel pour quelque fête, car on entendait le marteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de la chapelle perdue, dans la poussière d’un coup de balai donné par le bedeau, le prêtre à l’air maussade promenait vivement ses mains sèches sur les têtes inclinées de Gervaise et de Coupeau, semblait les unir au milieu d’un déménagement, pendant une absence du bon Dieu, entre deux messes sérieuses. Quand la noce eut de nouveau signé sur un registre, à la sacristie, et qu’elle se retrouva en plein soleil, sous le porche, elle resta un instant là, ahurie et essoufflée d’avoir été menée au galop. – Voilà ! dit Coupeau, avec un rire gêné. Il se dandinait, il ne trouvait rien de rigolo. Pourtant, il ajouta : – Ah bien ! ça ne traîne pas. Ils vous envoient ça en quatre mouvements... C’est comme chez les dentistes : on n’a pas le temps de crier ouf ! ils marient sans douleur. – Oui, oui, de la belle ouvrage, murmura Lorilleux en ricanant. Ça se bâcle en cinq minutes et ça tient bon toute la vie... Ah ! ce pauvre Cadet-Cassis, va ! Et les quatre témoins donnèrent des tapes sur les épaules du zingueur qui faisait le gros dos. Pendant ce temps, Gervaise embrassait maman Coupeau, souriante, les yeux humides pourtant. Elle répondait aux paroles entrecoupées de la vieille femme : – N’ayez pas peur, je ferai mon possible. Si ça tournait mal, ça ne serait pas de ma faute. Non, bien sûr, j’ai trop envie d’être heureuse... Enfin, c’est fait, n’est-ce pas ? C’est à lui et à moi de nous entendre et d’y mettre du nôtre. 


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