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lundi 21 septembre 2015

Pascal devant la mort : Le Christ présent dans ses pauvres


Mgr Daucourt a mentionné Pascal dans son homélie de dimanche matin. Sa grande charité est connue. Les médecins lui refusant de recevoir l'eucharistie, il voulait accueillir un malade chez lui qui bénéficierait des mêmes soins que lui. Cela lui ayant été refusé par le curé pour la raison figurant ci-dessous, on n'accéda pas non plus à son désir de finir sa vie auprès des pauvres. La charité couvrant un grand nombre de situations peccamineuses ou / et conflictuelles, y compris avec la Compagnie de Jésus, ne mériterait-il pas une béatification?

Extrait de ŒUVRES COMPLÈTES DE  BLAISE PASCAL, Vie de Pascal, par Gilberte Perier. Les Provinciales. Les Pensées.  Paris 1869 p. 21 


Il souhaitait beaucoup de communier; mais les médecins s'y opposaient, disant qu'il ne le pouvait faire à jeun, à moins que de le faire la nuit, ce qu'il ne trouvait pas à propos de faire sans nécessité, et que pour communier en viatique il fallait être en danger de mort; ce qui ne se trouvant pas en lui, ils ne pouvaient pas lui donner ce conseil. Cette résistance le fâchait, mais il était contraint d'y céder. Cependant sa colique continuant toujours, on lui ordonna de boire des eaux, qui en effet le soulagèrent beaucoup : mais au sixième jour de la boisson, qui était le quatorzième d'août, il sentit un grand étourdissement avec une grande douleur de tête; et quoique les médecins ne s'étonnassent pas de cela, et qu'ils assurassent que ce n'était que la vapeur des eaux, il ne laissa pas de se confesser, et il demanda avec des instances incroyables qu'on le fît communier, et qu'au nom de Dieu on trouvât moyen de remédier à tous les inconvénients qu'on lui avait allégués jusqu'alors; et il pressa tant pour cela, qu'une personne qui se trouva présente lui reprocha qu'il avait de l'inquiétude, et qu'il devait se rendre au sentiment de ses amis: qu'il se portait mieux, et qu'il n’avait presque plus de colique; et que, ne lui restant plus qu'une vapeur d'eau, il n'était pas juste qu'il se fît porter le saint sacrement ; qu'il valait mieux différer, pour faire cette action à l'église. Il répondit à cela : « On ne sent pas mon mal, et on y sera trompé; ma douleur de tête a quelque chose de fort extraordinaire. » Néanmoins voyant une si grande opposition à son désir, il n'osa plus en parler; mais il dit : « Puisqu'on ne me veut pas accorder cette grâce, j'y voudrais bien suppléer par quelque bonne œuvre, et ne pouvant pas communier dans le chef, je voudrais bien communier dans ses membres; et pour cela j'ai pensé d'avoir céans un pauvre malade à qui on rende les mêmes services comme à moi, qu'on prenne une garde exprès, et enfin qu'il n'y ait aucune différence de lui à moi, afin que j'aie cette consolation de savoir qu'il y a un pauvre aussi bien traité que moi, dans la confusion que je souffre de me voir dans la grande abondance de toutes choses où je me vois. Car quand je pense qu'au même temps que je suis si bien, il y a une infinité de pauvres qui sont plus malades que moi, et qui manquent des choses les plus nécessaires, cela me fait une peine que je ne puis supporter; et ainsi je vous prie de demander un malade à M. le curé pour le dessein que j'ai. J'envoyai à M. le curé à l'heure même, qui manda qu'il n'y en avait point qui fût en état d'être transporté ; mais qu'il lui donnerait, aussitôt qu’il serait guéri, un moyen d'exercer la charité, en se chargeant d'un vieux homme dont il prendrait soin le reste de sa vie : car M, le curé ne doutait pas alors qu'il ne dût guérir.
Comme il vit qu'il ne pouvait pas avoir un pauvre en sa maison avec lui, il me pria donc de lui faire cette grâce de le faire porter aux incurables, parce qu'il avait grand désir de mourir en la compagnie des pauvres. Je lui dis que les médecins ne trouvaient pas à propos de le transporter en l'état où il était : ce qui le fâcha beaucoup ; il me fit promettre que, s'il avait un peu de relâche, je lui donnerais cette satisfaction.
Cependant cette douleur de tête augmentant, il la souffrait toujours comme tous les autres maux, c'est-à-dire sans se plaindre; et une fois, dans le plus fort de sa douleur, le dix-septième d'août, il me pria de faire faire une consultation; mais il entra en même temps en scrupule, et me dit : «Je crains qu'il n'y ait trop de recherche dans cette demande.» Je ne laissai pourtant pas de la faire; et les médecins lui ordonnèrent de boire du petit-lait, lui assurant toujours qu'il n'y avait nui danger, et que ce n'était que la migraine mêlée avec la vapeur des eaux. Néanmoins, quoi qu'ils pussent dire, il ne les crut jamais, et me pria d'avoir un ecclésiastique pour passer la nuit auprès de lui ; et moi-même je le trouvai si mal, que je donnai ordre, sans en rien dire, d'apporter des cierges et tout ce qu'il fallait pour le faire communier le lendemain matin.
Les apprêts ne furent pas inutiles, mais ils servirent plus tôt que nous n'avions pensé : car environ minuit, il lui prit une convulsion si violente, que, quand elle fut passée, nous crûmes qu'il était mort, et nous avions cet extrême déplaisir, avec tous les autres, de le voir mourir sans le saint sacrement, après l'avoir demandé si souvent avec tant d'instance. Mais Dieu, qui voulait récompenser un désir si fervent et si juste, suspendit comme par miracle cette convulsion, et lui rendit son jugement entier, comme dans sa parfaite santé; en sorte que M. le curé, entrant dans sa chambre avec le saint sacrement, lui cria : « Voici Celui que vous avez tant désiré. » Ces paroles achevèrent de le réveiller; et comme M. le curé approcha pour lui donner la communion, il fit un effort, et il se leva seul à moitié pour le recevoir avec plus de respect; et M. le curé l'ayant interrogé, suivant la coutume, sur les principaux mystères de la foi, il répondit distinctement; « Oui, monsieur, je crois tout cela de tout mon cœur, » Ensuite il reçut le saint viatique et l'extrême-onction avec des sentiments si tendres, qu'il en versait des larmes. Il répondit à tout, remercia M. le curé; et lorsqu'il le bénit avec le saint ciboire, il dit : «Que Dieu ne m'abandonne jamais ! » Ce qui fut comme ses dernières paroles; car, après avoir fait son action de grâces, un moment après ses convulsions le reprirent, qui ne le quittèrent plus, et qui ne lui laissèrent pas un instant de liberté d'esprit : elles durèrent jusqu'à sa mort qui fut vingt-quatre heures après, le dix-neuvième d'août 1662 à une heure du matin, âgé de trente-neuf ans deux mois.

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