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mercredi 11 mars 2015

La loi et Jésus

Le Seigneur nous enjoint dans l'Evangile d'aujourd'hui, de respecter la loi jusque dans son iota. Nous pouvons nous interroger aussi ce matin sur les conflits entre la loi de Dieu et celles des Etats dans lesquels vivent les chrétiens, régimes religieux, autoritaires, laïcs agressifs, véhicules idéologiques cachés. Comment a pu subsister le peuple juif en exil? Quelle était la tolérance des peuples de l'antiquité? Les sujets ont été étudiés.
Ce qui nous importe le plus, c'est notre contemporain européen. Y a-t-il un conflit aussi entre la charité mise au premier rang par Jésus, la foi et la loi? Quelles relations et quelles tolérances? Comment annoncer l'Evangile sans insérer un élément conflictuel dans le vivre ensemble?

Délicates questions...

Un extrait d'un discours de Benoît XVI : de Vatican II à 2005
publié par la Document catholique dans un hors série

3. L'interprétation de la Loi par Jésus : conflit et réconciliation


Mais à présent se pose une question inévitable. Une telle conception des rapports entre la Loi et l'Évangile n'aboutit-elle pas à une inacceptable tentation d'harmonisation? Comment donc expliquer le conflit qui a conduit à la croix de Jésus ? Tout cela ne contredit-il pas l'interprétation paulinienne de la figure du Christ ?

Ne récusons-nous pas ici l'entière doctrine paulinienne sur la grâce en faveur d'un nouveau moralisme, abolissant ainsi l'« articulus stantis et cadentis ecclesiae », innovation essentielle du christianisme ? En ce qui concerne ce point, la partie du Catéchisme qui traite de la morale, à laquelle nous avons emprunté jusqu'ici la discussion de la démarche chrétienne, correspond étroitement à la présentation du Christ dans la section dogmatique. Si nous y regardons de près, nous apercevons deux aspects essentiels du problème, dans lesquels se trouve la réponse à nos questions:


a) Dans sa présentation de la continuité et de la cohérence internes de la Loi et de l'Évangile dont nous venons de discuter, le Catéchisme se situe sans ambiguïté clans la tradition catholique telle qu'elle a été formulée en particulier par saint Augustin et saint Thomas d'Aquin. Dans cette tradition, les rapports entre la Torah et la proclamation de Jésus ne sont jamais vus sur un plan dialectique. Dieu, dans la Loi, n'apparaît pas sub contrario, pour ainsi dire en opposition avec lui-même. Dans la tradition, il n'était jamais question de dialectique, mais d'analogie, de développement. clans une correspondance interne, selon la belle phrase de saint Augustin : « Le Nouveau Testament se trouve présent, caché clans l'Ancien ». Dans le Nouveau Testament, l'Ancien se trouve là, explicite. En ce qui concerne l'interrelation entre les deux Testaments, le Catéchisme cite un passage significatif de saint Thomas: « Il y eut, (...) sous le régime de l'Ancienne Alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l'Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituellement éternelles, en quoi ils se rattachaient à la Loi nouvelle. Inversement, il existe sous la Nouvelle Alliance des hommes charnels... » (Catéchisme, 1964 S. Théol, 1-II 107, 1, ad 2).

b) Ce qui précède signifie aussi que la Loi est lue prophétiquement, dans la tension intérieure de la promesse. Ce que veut dire une telle lecture dynamique et prophétique apparaît dans le Catéchisme sous une double forme : la Loi est conduite à sa plénitude à travers le renouveau du coeur (1968) ; extérieurement, cela s'exprime par le fait que sont suspendus le rituel et les observances juridiques (1972). Ici se pose une nouvelle question : Comment cela peut-il se produire ? Comment cela est-il compatible avec l'accomplissement de la Loi jusqu'au dernier iota ? En effet, assurément, on ne peut purement et simplement établir une séparation entre des principes moraux universellement valables et des normes juridiques et rituelles transitoires, sans détruire la Torah elle-même, qui est une construction globale et qui doit son existence au fait que Dieu s'adresse à Israël. L’idée que, d'une part, existent de purs principes moraux qui sont raisonnables et universels et, de l'autre, qu'il existe des rites conditionnés par le temps et dont, en définitive, on peut se dispenser, ne tient absolument pas compte de la structure intime des cinq Livres de Moïse. Le Décalogue, en tant que coeur de la Loi, montre à l'évidence que l'adoration de Dieu ne peut aucunement se séparer de la morale, du culte et de l'ethos.

Il n'en reste pas moins que nous nous trouvons devant un paradoxe. La foi d'Israël était orientée vers l'universalisme. Consacrée à l'unique Dieu de tous les hommes, elle portait aussi en elle-même la promesse de devenir la foi de toutes les nations. Mais la Loi, où cette foi s'exprimait, était particulière, très concrètement adressée à Israël et à son histoire ; elle ne pouvait être universalisée sous cette forme. C'est dans l'intersection de ces paradoxes que se tient Jésus de Nazareth qui vivait lui-même, en tant que juif, sous la Loi d'Israël, mais se savait en même temps médiateur de l'universalité de Dieu. Une telle médiation ne pouvait avoir lieu par le moyen d'un calcul politique ou d'une interprétation philosophique. Dans l'un et l'autre cas, l'homme se serait situé au-dessus de la Parole de Dieu et l'aurait réformée selon ses propres modèles. Jésus n'a pas agi comme un réformateur libéral, ordonnant et présentant lui-même une interprétation plus compréhensible de la Loi. Dans les affrontements de Jésus avec les autorités juives de son temps, il ne s'agit pas d'un face à face entre un réformateur libéral et une hiérarchie traditionnaliste ossifiée. Une telle conception, bien que généralisée, témoigne d'une incompréhension fondamentale du conflit du Nouveau Testament et ne rend justice ni à Jésus ni à Israël. Au contraire, Jésus a ouvert la Loi, tout à fait théologiquement, conscient d'agir comme Fils – et de le revendiquer –, avec l'autorité de Dieu lui-même, dans l'unité la plus étroite avec Dieu le Père. Seul Dieu en personne pouvait en profondeur réinterpréter la Loi et manifester que son élargissement et sa préservation constituaient la signification du dessein qu'il poursuivait en réalité. L’interprétation que Jésus donne de la Loi n'a de sens que dans la mesure où il s'agit d'une interprétation dotée d'une autorité divine, où Dieu s'interprète lui-même. La dispute entre Jésus et les autorités juives de son temps ne porte pas en définitive sur telle ou telle infraction à la Loi, mais sur la revendication par Jésus d'agirex auctoritate divine, en fait d'être lui-même cette auctoritas : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10, 30).

C'est seulement lorsqu'on pénètre jusqu'à ce point que l'on peut aussi déceler la tragique profondeur du conflit. D'une part, Jésus a élargi la Loi, il a voulu l'ouvrir, non pas comme un réformateur libéral, non pas à partir d'une moindre fidélité à l'égard de la Loi, mais dans le respect le plus strict de son accomplissement, à partir du fait qu'il était un avec le Père, en qui seul la Loi et la promesse sont une seule et même chose, et en qui Israël pouvait devenir bénédiction et salut pour les nations. Par ailleurs, Israël « se devait » de voir ici quelque chose de bien plus sérieux que la violation de tel ou tel commandement, à savoir la répudiation de cette obéissance fondamentale, du noyau propre de sa révélation et de sa foi: « Écoute, Israël, ton Dieu est le Dieu unique ». Ici, deux obéissances se heurtent et débouchent sur un conflit qui devait prendre fin sur la Croix. Réconciliation et séparation apparaissent ainsi comme liées dans un paradoxe en apparence insoluble.

Dans cette théologie du Nouveau Testament que développe le Catéchisme , la Croix ne peut être simplement regardée comme un accident qui aurait pu être évité, ni comme le péché d'Israël qui le flétrirait éternellement, au contraire des païens pour lesquels la Croix signifierait la Rédemption. Dans le Nouveau Testament, il n'y a pas deux effets de la Croix : l'un qui damne et l'autre qui sauve, mais un unique effet qui est à la fois de salut et de réconciliation. De ce point de vue, il y a dans le Catéchisme un texte important qui interprète l'espérance chrétienne comme la continuation de l'espérance d'Abraham, la reliant au sacrifice d'Israël : l'espérance chrétienne « trouve son origine et son modèle dans l'espérance d'Abraham comblé en Isaac des promesses de Dieu et purifié par l'épreuve du sacrifice » (18-19). Par sa disponibilité à sacrifier son fils, Abraham devient le Père d'une multitude, une bénédiction pour toutes les nations de la terre (cf. Gn 22).

Le Nouveau Testament replace la mort du Christ dans cette perspective, dans l'accomplissement de cet événement. Cela signifie que toutes les règles cultuelles de l'Ancien Testament apparaissent reprises et présentes dans sa mort et portées jusqu'à leur suprême signification. Tous les sacrifices sont des actes de représentation qui, dans ce grand acte de représentation réelle, deviennent réalité à partir des symboles, de manière que les symboles puissent être dépassés sans qu'un iota soit perdu. L’universalisation de la Torah par Jésus, telle que la comprend le Nouveau Testament, ne consiste pas à extraire un certain nombre de prescriptions morales universelles à partir de l'ensemble vivant de la révélation divine. Elle préserve l'unité du culte et de l'ethos. L’ethos demeure enraciné et ancré dans le culte, dans l'adoration de Dieu, de telle manière que le culte tout entier soit rassemblé dans la Croix et, en réalité, devienne pour la première fois pleinement réel. Selon la foi chrétienne, sur la Croix, Jésus

ouvre et accomplit l'intégralité de la Loi, et la transmet ainsi aux païens qui peuvent désormais l'accepter comme leur appartenant dans sa totalité, devenant par là même fils d'Abraham.

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